Gemma et moi-même marchions depuis déjà des heures dans la forêt. Mes jambes étaient rouges de piqûres et d'égratignures. Mes pieds me faisaient mal dans ces souliers peu adaptés pour une randonnée. Je transpirais dans ce linge trop chaud pour l'humidité des environs. Mes cheveux frisaient dans tous les sens et je ressemblais à un épouvantail. « Tu n'avais pas dit qu'on se rendait à une chute qui en valait le détour ? Je vois pas de chute et je commence de plus en plus à penser que ça en valait pas l'énoooorme détour. » C'était peut-être la dixième remarque que je faisais à l'une de mes seules amies de l'île. Évidemment, il était difficile de sortir la grande ville de ma personnalité, de mes valeurs. Bien que je savais que le monde dans lequel j'avais grandi n'était pas le mien, il m'était difficile de tout de suite m'adapter à un autre, même si c'était exactement celui dans lequel je désirais vivre. Je ne savais pas pourquoi Gemma continuait à m'endurer ; probablement parce qu'elle voyait que malgré tout, je faisais de gros efforts et que je me plaisais dans cet endroit magnifique. Que je voulais m'intégrer. Que je voulais me faire aimer, et aimer la nature, et aimer ce mode de vie. « J'veux bien croire qu'on doit continuer à faire de l'exercice pendant une grossesse mais ... tu devrais pas t'asseoir un peu ? » Dis-je un peu plus pour bénéficier moi-même d'une pause que pour aider Gemma. Elle avait l'air de très bien s'en sortir alors je ne doutai pas une seule seconde que son bébé s'en portait très bien aussi. C'était moi qui étais en train de mourir là, marchant sous cette chaleur. Puis, miraculeusement, je commençai à entendre un bruit lointain de cascade qui s'écrase sur les rochers. « Oh. Nous y sommes presque, n'est-ce pas ?! Allez vite, on accélère le pas ! » Tout d'un coup, toute mon énergie venait de remonter en moi comme un volcan. Je me mis presque à courir, sautillant entre les racines et les petites roches, jusqu'à ce que nous débouchions sur un lac miniature dans lequel une grande chute s'écoulait. J'avais les yeux grands ouverts. « Eh ben merde. Ça en valait vachement le détour. » Soufflais-je en toute honnêteté.

Je marchais devant pour ne pas qu'elle tombe dans un trou ou sur une bestiole et qu'elle paniquerait. On voyait bien que les citadines n'avaient pas l'habitude de la nature. Quand on me voyait en ce moment même on avait tout simplement l'impression que j'étais en train de me promener dans une rue! J'enlevais les branches sur le chemin, je regardais à peine où je mettais les pieds, car ce trajet je le connaissais par cœur. Hors de question de prendre un guide et de subir les touristes qui hurleraient dès qu'ils verraient un serpent ou une araignée. J'avançais au fur et à mesure, tandis qu'elle râlait derrière moi. Je ne pouvais m'empêcher de sourire. A la base, je n'aimais pas ce genre de personne: ceux qui se plaignaient dès qu'un moustique piquait, ceux qui ne voulaient pas marcher en pleine forêt car cela regorgeait de bestioles ''bizarres'' mais là je m'étais très vite bien entendue avec Niveane, elle n'était pas prétentieuse et c'était ce que j'appréciais chez elle. Car combien de fois, nous, les habitants, n'étions pas tombés sur des gens qui nous prenait pour des sauvages et qui ne connaissait sans doute pas les technologies? Certains croyaient qu'on se chauffait au bois, c'était d'un délire... « Ce n'est même pas un détour. Puis ça en vaut vraiment la peine, fait attention où tu marches, il ne faudrait pas que tu marches sur un serpent venimeux. » Déclarais-je avant d'éclater de rire et de continuer à marcher. Je ne l'entendais plus et je m'arrêta avant de me retourner vers elle avant de voir son visage semi-décomposé: « je plaisantais... quoique... » Fis-je en laissant planer le doute et de reprendre mon chemin. Ce n'était pas pour lui faire peur, mais il fallait comprendre que l'on était en pleine nature, et ce n'était pas une fiction. On avait encore au moins cinq minutes de marche. Je me sentais bien dans cette forêt, ce qui était bien sur cette île c'était qu'il n'y avait aucune pollution, chaque jour on respirait un air pur. Je chantonnais en même temps d'avancer en surveillant de temps à autres que Niveane suivait derrière moi.

Tandis que sautais par dessus un tronc d'arbre qui se baladait par là, Niveane me dit de ramollir tout ça parce que j'étais... enceinte. Je ne voyais pas le problème, je me sentais en forme et à ce que m'avait dit ma grand-mère, dans notre famille on avait une santé de fer quand on attendait un bébé. J'haussais les épaules: « Je ne suis pas en sucre, puis ce n'était pas comme si je sautais de la falaise. Franchement faut que tu tentes ça aussi! J'adore le faire! » Elle devait me prendre pour une folle, mais c'était la coutume ici. Tous les jeunes se bousculaient en haut de la falaise pour être le premier à sauter dans l'Océan Pacifique. Les touristes trouvaient ça dangereux, complétement irresponsable et quand leurs enfants déclaraient qu'ils voulaient le faire aussi, on était mal vu. Pourtant, c'était si marrant! Je continuais d'avancer à travers la verdure quand j'entendis enfin le bruit de la chute d'eau. Rien que le bruit apaisait l'esprit. Avant que j'ai pu ouvrir la bouche pour sortir un mot, je la vis passer devant moi en trombe ce qui me laissait perplexe. Elle avait si hâte de découvrir la chute d'eau? D'un côté c'était sensationnel et il fallait au moins voir ça une fois dans sa vie. Je comblais ses pas, un peu en accélérant. La chaleur était étouffante, l'humidité collait à la peau, mais quand on était habitué à cette atmosphère, cela nous paraissait normal. On était enfin arrivé, et je souris en voyant l'air ébahie de mon amie. « C'est cent fois mieux que la dernière collection d'une quelconque marque de mode non? » Je regardais l'état de ses jambes avant de grimacer. « Tu ferais mieux de plonger tes jambes dans l'eau douce de la chute, cela évitera une quelconque infection. »