« Je n'arrive pas à croire que tu partes si loin... » murmura-t-elle en me prenant dans ses bras. Ma mère avait toujours été d'un naturel sentimental, mais depuis que je lui avais annoncé mon départ pour l'université elle était devenue très émotive.
« Maman... Lancaster n'est même pas à une heure d'ici... » J'avais beau resté calme et comprendre sa tristesse, elle exagérait. Je suppose qu'elle agissait ainsi car j'étais la petite dernière. En effet je suis la benjamine de la famille ; Lou vit actuellement en France, tandis que Noam poursuit ses études de médecine. Désormais elle devrait rester seule avec mon père, ce qui ne serait sans doute pas une partie de plaisir. Je la repoussais légèrement quand elle répondit.
« Et alors ? Je ne verrais plus ma petite chérie tous les jours ! Et qui va s'occuper de toi dis moi ?» Me croyait-elle donc si incapable que ça ? Certes j'étais à l'aube de mes dix-huit ans, mais si je voulais poursuivre mes rêves, comme toute personne normale, il fallait que je me rende à l'université. Celle de Lancaster était la seule qui proposait un programme complet et ambitieux sur la biologie, ma passion. Je soupirais.
« Je suis assez grande pour prendre soin de moi... » Ma mère ne pourrait pas rétorquer ; elle me savait indépendante et obstinée. Elle savait pertinemment que je ferais tout pour vivre de la biologie et qu'elle n'avait aucune chance face à ça. Je me retournais alors vers ma valise et vérifiais que rien ne manquait. J'entendais alors ma mère faire les cent pas dans ma chambre, visiblement stressée. Je verrouillais ma valise puis me relevais pour lui faire face. Elle caressa mon visage et me dit avec tendresse
« Tu es promue à un bel avenir.. Je sais que tu réussiras, tu vas seulement me manquer» Aout 2001, Liverpool
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« Bordel Cha' ! Mais qu'est-ce que tu fous à New-York ? » s'exclama mon frère à l'autre bout du fil. Il était certain que je n'y étais pas pour faire la touriste, les grandes villes ne m'ont jamais attirées, mais pour les études. J'avais eu l'opportunité de passer mon dernier semestre dans une autre université et, New-York paraissait la meilleure option.
« Calme toi s'il te plait... J'y suis pour les cours... »J'avais dit cela d'un ton très lasse alors que j'étais extrêmement tendue. En effet je me rendais à mon premier cours, un sac à l'épaule, des bouquins dans une main et mon portable dans l'autre. Je pressentais que ma maladresse allait me rattraper.
« Si maman l'apprend elle va te tuer ! Tu avais promis que tu sortirais pas de l’État ! » Noam était tellement anxieux à propos de notre mère depuis que nous avions appris qu'elle était atteinte d'un cancer. Bien sûr je m'inquiétais moi aussi pour elle, mais ma mère était une battante. Elle n'avait pas besoin de sa fille de 22 ans pour lui tenir la main.
« C'était une opportunité que je devais saisir ! » Avec son internat de médecine, Noam était bien l'un des seuls qui pouvaient me comprendre. Il était tellement bienveillant à mon égard, bien que totalement désemparé par la situation. Malheureusement je ne pouvais l'aider cette fois-ci, je me devais de me concentrer sur ce dernier semestre.
« Je comprends sœurette... Prends soin de toi et reviens nous vite » puis il raccrocha. Je m'en voulais de les laisser, mais encore quelques mois et je pourrais les retrouver.
Janvier 2006, New-York
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« Besoin d'aide jolie demoiselle ?» demande une voix masculine. J'étais tombée à terre, mes cours s'étaient envolés et, ce devant une bonne moitié des étudiants de l'université. Je savais qu'un jour ma maladresse me jouerait des tours. J'étais morte de honte, cependant je me dépêchais de ramasser mes notes. Je ne répondis pas, je voulais que ce moment ne soit jamais arrivé. Il me tendit alors sa main tandis que je levais les yeux vers lui. Je la saisis et je murmurais
« Merci... » J'entendais les gens parler, chuchoter derrière mon dos, ils étaient certainement en train de se moquer de moi. Ce n'est que plus tard que j'appris que ce n'était pas de moi qu'ils discutaient tous, mais du jeune homme qui était à mes côtés. J'étais apparemment la seule personne à Columbia qui ne connaissait pas son identité à cet instant. Néanmoins, il fallait l'avouer, ma chute était plus qu'hilarante. Je ne prêtais nulle attention au jeune homme qui m'avait "secouru" tant j'étais chamboulée. Sans savoir pourquoi les larmes me montèrent aux yeux, j'étais totalement à bout. Depuis que ma mère était décédée je n'y arrivais plus. Le pauvre jeune homme qui était toujours à côté de moi me regardait comme si j'étais une folle, ce que je pouvais comprendre. Il me demanda alors calmement
« Est-ce que ça va ?» Je n'arrivais même à répondre, je me contentais de hocher la tête en signe de non. Décidément je ne me montrais pas sous mon meilleur jour, pauvre de lui. Il attrapa alors mon sac et me prit par le bras, un sourire aux lèvres.
« Je sais ce dont tu as besoin...» Je ne comprenais pas vraiment la situation, mais je le laissais m'entraîner avec lui. Pourquoi agissait-il ainsi ? La majorité des personnes de ce monde ne se serait même pas arrêter près de moi. Cette même majorité m'aurait encore moins pris par la main et emmener je ne sais ou. J'étais tellement pathétique, j'eus néanmoins le réflexe d'essuyer mes larmes. Nous entrâmes alors dans un immeuble et, nous montâmes un nombre incalculable de marches pour atteindre le sommet du bâtiment. Une fois sur le toit il lâcha ma main, s'approcha de mon visage et me murmura
« Au fait.... je m'appelle Aidan...» Je le regardais alors véritablement pour la première fois. Je me souviendrais toujours de son petit sourire en coin...
Mars 2006, New-York
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Une fête de plus dans ce monde d'hypocrites. Une fête de plus où je faisais acte de présence pour Aidan. Cela faisait maintenant plus de deux ans que nous étions ensemble, pourtant ce genre de célébrations me paraissait des plus interminables. Les invités prétendaient s'amuser pendant que moi j'étais sur le balcon de l'hôtel, un cocktail à la main. Je portais une magnifique robe noire de créateur, qu'évidemment il m'avait offert et, qui m'oppressait de manière insoupçonnable. De l'autre côté de la baie vitrée, je le voyais rire avec ses collaborateurs tandis que j'étais seule. La porte s'ouvrit et je souris. Richard Caulfield, le père d'Aidan, venait d'arriver sur le balcon, je ne l'avais pas encore vu de la soirée. Il s'approcha de moi et me prit dans ses bras, j'avais toujours eu de l'affection pour ce personnage si complexe.
« Ma chère Charlotte... Que faites-vous encore ici ?»J'aurais pu le prendre mal, mais il connaissait mon aversion pour ce genre d’événement. Je le lâchais, souriais et rétorquais.
« Combien de fois vous ai-je dis de m'appeler Charlie ou encore CJ ? Eh bien si je suis encore là c'est pour votre fils... » Il soupira et s'appuya sur la balustrade. Je ne comprenais pas pourquoi les médias s'acharnaient contre ce vieil homme. Je veux bien avouer qu'il est impressionnant et que j'étais persuadée qu'il me détesterait, mais les choses prirent une autre tournure.
« Votre prénom vous va si bien, jamais je n'arrêterais de vous appeler Charlotte ! » Dit-il en riant. Il prit une légère inspiration et ajouta
« Mon fils ne se rend pas compte de la chance qu'il a... » Il allait encore me parler du fait que nous ne devrions pas être ensemble. Il était très heureux pour nous, mais il nous trouvait trop différents, je ne pouvais pas rétorquer.
« Ne vous en faites pas, je serais là pour le lui rappeler » dis-je malicieusement. Il souriait à son tour, mais d'un sourire vide. Il me cachait quelque chose c'était certain. Je n'étais pas en position de lui faire avouer quoi que ce soit, je le savais pertinemment. Je n'avais aucun impact sur les hommes Caulfied, là était tout le problème. Il me sortit alors de mes songes en s'exprimant
« Ouvrez-les yeux Charlotte... Ouvrez-les vite...» Je ne compris pas, mais il s'éloignait déjà...
Juin 2009, New-York
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J'étais effondrée... Je n'arrivais pas à y croire, ça m'était tout simplement impensable. Comment avait-il pu faire ça, me faire
ça ? Comment avait-il pu me tromper à maintes reprises, me mentir droit dans les yeux et, continuer cet insupportable manège ? Me croyait-il bête à ce point ? Je luttais contre les larmes tandis que je savais qu'il arrivait. L’ascenseur n'était plus qu'à deux étages de notre appartement et je tentais en vain de me contenir. Je n'avais jamais été violente, ni même vulgaire mais là... C'en était trop... L'appartement avait été vidé de mes meubles, vêtements et tout autres objets m'appartenant. Tous mes bagages attendaient déjà à l'extérieur de l'appartement, bloquant légèrement l'entrée. J'avais brûlé nos photos, albums et toutes ces affreuses robes qu'il avait osées m'offrir. Je ne savais pas si j'allais être capable de l'affronter, mais je le devais. La bague qui représentait nos fiançailles me démangeait ; au fond de moi je voulais l'arracher et l'envoyer valser à travers la pièce. Et dire qu'il ne se doutait de rien... J'entendis le bruit de sa clé dans la serrure de la porte, tandis que j'enfilais mon blouson. Il entra silencieusement, posa ses bagages et s'approchait de moi. J'étais dos à lui, les poings serrés et, il me prit dans ses bras.
« Tu pars en voyage ? Tu m'as manqué tu sais... » Je ne dis rien. Il m'embrassait dans le cou et resserrait son étreinte. Je pris une légère inspiration et je le repoussais légèrement.
« Ton séjour s'est bien passé ? » Je ne voulais pas évacuer ma rage de suite, je voulais lui laisser une chance de se rattraper. Je savais qu'il continuerait à nier, mais je ne me rabaisserais pas à être comme lui. Il parut surpris de mon manque d'affectivité et du fait que je l'ai rejeté.
« Plutôt ennuyant je dois avouer... » Je lui fis alors face. Il était certain que je devais ressembler à une furie.
« Tellement ennuyant que tu as ressenti le besoin de te taper une bonne dizaine de putes ? » dis-je d'un ton provocateur. Son visage se décontenança, il savait que je savais tout. Il prit alors mon poignet
« CJ... » Je ne le laissais pas continuer, il était hors de question qu'il me serve ses excuses à deux sous !
« Tais toi Aidan... » J'étais incapable de l'écouter désormais et je savais que j'allais me lancer dans un monologue des plus odieux !
« Je n'ose même pas imaginer combien de pauvres filles tu t'es tapé... Putain.... Cinq ans que tu me mens et tu prétends m'aimer ! Mais pour qui est-ce que tu te prends ? C'est bon le fils à papa s'est bien amusé ?!? Tu n'es qu'un idiot, un putain d'idiot... » Je n'arrivais même pas à sortir tout ce que je pensais... Je me rendais compte qu'il n'était pas l'homme dont j'étais tombée amoureuse et, cela me faisait souffrir autant que le fait qu'il m'ait trompé. Je repris alors
« Je ne suis rien pour toi... Je n'ai été que la fille qui te permettait d'avoir bonne conscience, de bien apparaître dans les médias... Et dire que tu t'es servi de mon projet pour ton petit complexe de merde ! » Je retirais alors ma bague et la posais dans la paume de sa main.
« C'est fini... Je ne veux plus jamais te revoir... » Et je partais en courant de l'appartement, je ne voulais pas l'entendre me dire des choses qui m'empêcheraient de m'enfuir. Il était trop tard désormais.
Juin 2011, New-York
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« Alors, comme ça tu vas à Vanatu ? Tu ne serais pas un peu masochiste par hasard ?» déclara Lou à l'autre bout du fil. Je ne pouvais que rire avec elle. En effet, je me retrouvais sur l'île où mon très cher ex-fiancé avait fait construire un complexe hôtelier et, j'étais en charge de l'examiner, et officieusement, trouver une faille qui ferait fermer son petit bijou.
« En réalité j'y suis déjà... Et c'est uniquement pour le travail. » Je mentais à ma sœur, rendez-vous compte ! Bien évidemment j'y étais pour le travail ,mais aussi pour détruire celui qui avait été l'amour de ma vie.
« Mais bien sûr CJ... Et le fait que ce soit l'hôtel d'Aidan est un pur hasard !» Effectivement, aussi étrange que cela pouvait paraître c'était effectivement un pur hasard. Accessoirement parfait pour ma vengeance, enfin si j'en étais capable. Je soupirais, je n'avais même pas envie de le revoir.
« Tu n'es plus amoureuse de lui, n'est-ce pas ? » J'eus un petit rire nerveux. En réalité je n'en savais rien et je ne voulais pas savoir. On ne peut pas effacer quelqu'un de sa vie du jour au lendemain, malgré qu'il vous ait fait souffrir. Je pris un petit temps de réflexion et répondit calmement.
« Pourquoi est-ce que j'aimerais un type pareil ?» Ce fut au tour de ma sœur de soupirer. Elle aussi avait eu quelques problèmes de cœur dernièrement.
« Le cœur a ses raisons que la raison ignore !» Et ça y est, elle faisait sa philosophe. Lou avait toujours eu le don de placer des citations dignes de films dans une conversation. Et moi, j'avais le don de tout casser.
« Et moi, j’emmerde mon cœur ! » Mars 2012, aéroport de l'archipel de Vanatu