Il est quinze heure, je reçois un sms de Lukas me priant de venir le chercher à l'hôpital après une visite de routine. Je fronce les sourcils, pourquoi ce gars voulait-il toujours que je sois son compagnon de jeu. Je m'en foutais de sa gueule à vrai dire mais il ne semblait pas tellement le comprendre. Je répondis que je viendrais même si j'étais sur et certain que je déciderai à la dernière minute. Je décide toujours à la dernière minute, parce que c'est pratique, ça évite de réfléchir et donc on se prend pas la tête. Je hais me prendre la tête. En plus pour le coup, je suis loin d'être une âme charitable et m'occuper d'handicapés est loin de mon domaine de compétence. Je ne donne jamais à des associations caritatives, je préfère m'acheter le nouveau portable dernière génération. Je me fiche royalement des gens qui crèvent de faim dans le monde. Du moment que ça ne me touche pas, c'est comme si c'était inexistant. Le problème de Lukas ne me concerne pas même si autrefois j'étais vaguement son ami. Je dis vaguement parce que je n'ai jamais eu concrètement d'amis. Je dirais qu'ils sont plus des bouches-trous qui me permettent de ne pas m’ennuyer de trop. Car sans quelqu'un à ses côtés, on s'ennuie. En tout cas, JE m'ennuie. Je suis plutôt du genre pas solitaire, vous voyez ?

J'étais en train de traîner dans mon appartement, me demandant quoi foutre. J'aimais être en vacances, sinon je ne serais pas prof, mais ça m'emmerdait quand tout le monde était pris et que les touristes étaient de sortie. Si ça ne tenait qu'à moins, j'en aurais empoigner quelques uns et reconduit à la frontière. Rien à foutre de la mondialisation, on est bien mieux chacun dans son pays. Et si le tien ne te plait pas, ben tant pis pour toi, fallait avoir plus de chance mon pote. J'allumai la télévision dans l'espoir de tomber sur un truc un peu intéressant ou juste marrant. Comme d'habitude, rien en vue, juste de la merde d'émission débile. Même pas un bon film d'horreur. En même temps, en plein après-midi... Bref, Lukas m'attendait à seize heure, ce qui me laissait encore une demie heure à tuer. Je sortais en espérant rencontrer quelqu'un. Normalement, les samedis, les rues étaient bondées. Pas souvent de bonnes graines mais au moins, ça m'éviterais de me sentir seul. J'avais pas envie d'arriver en avance à l'hôpital, je suis jamais en avance, je suis toujours en retard, faut que je cultive cette réputation de glandeur. Et puis ça voudrait dire que j'attendais comme un poireau pour venir le chercher et ça c'était hors de question. Dans la rue, je vois de jolies filles aux accents étrangers, ça me dégoute. Puis, j'en repère une, genre dix-huit ans, très belle, je l'approche et remarque qu'elle est légèrement occupée, ouais, elle tient un gosse dans les bras. Peut-être qu'elle est plus âgée finalement. Je rentre dans un bar et m'achète un paquet de clope et un jeu à gratter. Je gagne cinq euros, je suis content et je fumes une ou deux clopes avant de me rendre compte que j'ai déjà dépasser l'heure, je souris. Puis je me rend donc à l'hôpital en marchant, sans me presser tout en fumant la troisième clope sur trois-quart d'heure. J'arrive à l'entrée et je repère Lukas dans sa chaise. Je sais pas pourquoi ça me fait rire. Je m'approche. « Hey mon potes, ça roule ? ». Je ris, content de mon jeu de mot.

Je venais d’envoyer un message à Méziane, sans raison à vrai dire. Il devait être la dernière personne à laquelle j’aurais dû songer lorsqu’on m’avait demandé s’il y avait quelqu’un que je pouvais appeler pour me raccompagner. Pourtant, j’avais privilégié son numéro à celui de ma mère, Gemma et Billie. Et ce, alors même que je savais les chances minces que j’avais de le voir se pointer à l’heure. Assis sur une table d’examen, face à mon médecin qui me regardait en ayant l’air de me gronder du regard. Je l’écoutais déblatérer tout un charabia médical alors que je pensais aux raisons qui m’avaient poussée à choisir Méziane. Les résultats des quelques exercice et tests, qu’on avait fait précédemment, en main le médecin continuait à parler regardant ses notes. « Monsieur, ce n’est pas pour vous effrayez, mais vous ne pouvez pas en demander de trop à votre corps. Vous avez eu un grave accident, on ne s’attendait même pas à vous revoir un jour sur vos deux jambes. Elles ont besoin que vous leur laissiez du temps. » Mes yeux plantés dans ceux du médecin, j’écoutais sans comprendre. Non, je n’avais pas envie de perdre encore du temps à attendre que mon corps réponde. Je voulais aller vite, je voulais me tenir sur mes deux jambes, courir, sauter, vivre comme je l’avais toujours fait. Mais, rien n’y faisait, le monde se liguait contre moi pour que je reste coincé dans un fauteuil à vie ! Mes yeux posés sur mes jambes, je restais le reste de la séance ainsi alors que mon médecin n’avait toujours pas fini de parler me conjurant de ne pas trop forcer. D’après lui, j’avais besoin de repos et c’était pour cela que ces derniers jours mes jambes étaient plus faible que les jours précédents. Lui assurant que j’allais écouter ses conseils, je laissais un membre du personnel poussé ma chaise roulante jusqu’à l’extérieur de l’hôpital arrivant là à seize heures, comme je l’avais précisé à Méziane.

Attendant, je n’étais pas étonné de ne pas voir le jeune homme arrivé. Les minutes s’écoulaient alors que les gens qui rentraient et sortaient s’apitoyaient sur mon sort de pauvre handicapé, bloqué dans sa chaise roulante à attendre quelqu’un qui ne voulait pas montrer le bout de son nez. « Hey mon potes, ça roule ? » Méziane venait d’arriver et, comme d’habitude, venait de se faire remarquer. « T’imagine même pas, avec mon bolide je vais plus vite que toi. » Les personnes qui nous entouraient fusillaient du regard Méziane pensant certainement que je feignais l’amusement. Il n’empêchait que pour le coup, l’idiot sans tact et égoïste qui me faisait face était certainement la chose dont j’avais le plus besoin. Quelqu’un qui osait me rentrer dedans sans avoir de pitié. Alors qu’on me clouait un peu plus dans ma chaise, je n’avais pas besoin des regards larmoyant et suintant la pitié que n’importe qui d’autre aurait en cette occasion. « Désolé de t’ennuyer, je suis sûr que tu faisais un truc passionnant pour arriver en retard. Ou alors, tu m’avais juste oublié. » A la vérité, j’étais persuadé qu’il m’avait oublié et même qu’il n’avait aucun remord. De mon côté, je m’en fichais pas mal, être assis sur cette chaise à l’extérieur de l’hôpital ou chez moi ne faisait pas de grande différence. Tout ce dont j’avais besoin c’était me changer les idées et rire de ma condition. Il y a des jours comme ça où on a vraiment besoin de passer outre ce qui va mal et de rire de ces malheurs. Pour ma part, c’était soit ça, soit finir en dépression. Et si pour ne pas arrêter de profiter de la vie, je devais traîner avec un gars qui ne pensait qu’à sa gueule, ça m’allait. Il fallait dire que j’aimais assez bien les défauts de Méziane, ça le rendait intéressant.