just you, me and a lot of baby turtles

Ce matin-là je me réveillais avec une idée très précise de ce que j'allais accomplir durant la journée, et certainement même toute la soirée. Aujourd'hui c'est le grand jour, pensais-je. Et non il ne s'agissait pas de mon mariage mais de l'éclosion d'oeufs de tortue ; voir les bébés rejoindre l'océan est vraiment quelque chose d'exceptionnel. Cela faisait des mois, même des années, que je rêvais d'assister à un tel évènement. Voir ce genre de choses grâce à des photographies ou à lors d'un reportage à la télévision n'est rien comparé à la réalité que je m'apprêtais à vivre. Venir sur cette île avait donc quelques avantages, au delà du climat plus qu'agréable et de la flore luxuriante. Pour tout biologiste, et même écologiste, Efaté représentait sans aucun doute un petit paradis sur Terre. Cette île allait m'apporter autre chose que de la tristesse et du désespoir, au moins le temps d'une soirée . J'étais tellement excitée qu'on aurait pu me comparer à une adolescente se préparant pour le bal de son lycée. A la différence que je passais ainsi mon après-midi à feuilleter un bouquin sur la naissance des tortues, bien que je connaisse le sujet par coeur, à préparer mon sac et mes vêtements. J'avais tout prévu, que ce soit de la nourriture, une couverture et même des jumelles infrarouges pour mieux voir le phénomène ! Je vérifiais même avant de partir la météo, pour être certaine que ma tenue convenait et qu'une averse ne pointerait pas le bout de son nez. A quelque minutes du départ, je ressemblais à une James Bond Girl prête à partir en mission.


C'est donc vêtue et chargée telle une aventurière que je débarquais sur la plage peu après dix-huit heures. Je ne savais vers quel côté me diriger, malgré qu'un professeur, expert en tortues, m'ait conseillé quelques mois plus tôt de me diriger en lisière de la forêt pour avoir une meilleure vue, sans pour autant gêner les petits bien évidemment. Après une légère hésitation, je décidais de suivre son conseil et de marcher vers ce qui semblait être une forêt. Avant de reprendre ma marche j'ôtais mes converses, voulant profiter du sable chaud. J'étais tellement excitée, j'avais tout prévu pour immortaliser ce moment ; deux appareils photo - au cas où l'un des deux casserait ou qu'un éventuel problème survienne, ainsi qu'une caméra. Cependant je m'arrêtais quelques minutes plus tard, ayant remarqué une sorte de campement quelques mètres devant moi. Un drap était étendu sur une dune de sable, entouré de ce que je pensais être des châteaux de sables plutôt réalistes, je distinguais mêmes des douves. Le gamin qui avait dû les faire s'était certainement éclaté, sans doute la petite tête blonde que j'apercevais. C'est fou mais ces petites bouclettes me faisaient penser au petit génie que j'avais rencontré quelques mois auparavant. Il ne pouvait pas se trouver sur l'île, nous nous étions rencontrés en Australie et il devait certainement encore s'y trouver. Je m'imaginais mal Georgie partir seul sur une île, beaucoup trop jeune pour se permettre un tel voyage. D'ailleurs il doit certainement être en période d'examens, une raison de plus qui me pousse à penser que ce n'est pas lui. Heureusement que personne n'assistait à cette scène ; moi, droite comme un piquet à épier un jeune homme. Je vis alors le jeune homme poser une casquette - assez moche je dois dire - sur sa tête, s'équiper de jumelles et ainsi regarder vers sa droite. C'était bien lui. Georgie Hawkins, dix-neuf ans, amoureux des tortues était sur Efaté. Avait-il eu la même idée que moi ? Sans doute. Il se trouvait alors cependant très mal placé. Je ne pus m'empêcher de sourire quand je réalisais qu'il n'était qu'à quelques mètres de moi, ne se doutant pas que la jeune femme blonde qu'il avait rencontrée à un meeting pour étudiants pré-pubères l'épiait. Je m'imaginais déjà lui sauter dessus pour l'effrayer en criant un Bouh. J'en étais bien capable. Cependant je m'approchais discrètement, sur la pointe des pieds, pour être certaine qu'il ne m'entendrait pas venir. Je luttais contre le rire qui commençait à me submerger, sa tenue était absolument hilarante. Je posais mon sac délicatement à terre, et n'étant plus qu'à quelques centimètres de lui, je me courbais et posais mes mains sur ses yeux. Une vraie gamine. « Devine qui c'est, petit génie... » Je ne lui laissais pas le temps de répondre que je m'emparais de sa casquette et la posais négligemment sur ma tête. Une telle horreur ne pouvait exister, je trouverais sans doute un moyen de la perdre si je parvenais à l'emmener avec moi. Evidemment ce ne serait qu'un malheureux hasard. Je me laissais tomber à ses côtés, et lui souris. « Si tu es là pour les bébés tortues, tu es très mal placé mon cher... »

Cette île me plaisait de plus en plus. Cela ne faisait même pas une semaine que j’avais atterri ici, mais j’y prenais déjà goût, malgré les appels intempestifs de mes parents et de mon unique ami à qui j’avais l’air de manquer. Je ne passerais pas ma session d’examens, et alors ? J’avais deux ans d’avance, je pouvais bien gaspiller un peu de mon temps. En plus, les professeurs m’adoraient, en même temps, j’étais quasiment le seul sur tout l’amphithéâtre à comprendre ce qu’ils racontaient et à pouvoir tenir une conversation avec eux. Ils m’autoriseraient peut-être à les repasser à un autre moment, ce n’était pas comme si j’avais quelqu’un pour me refiler les questions, et puis je connaissais la plupart des réponses, en fait. De toute façon, rencontrer ma sœur était le plus important à mes yeux. Elle était gentille et on s’entendait assez bien pour l’instant, bien que ce ne soit que le début. Deux jours plus tôt, j’avais découvert sur internet – dieu merci ils avaient le wi-fi même entourés de l’océan – que des bébés tortues allaient très prochainement sortir de leurs petits œufs et rejoindre leur maman dans l’eau. Evidemment, j’avais sauté sur l’occasion et ma grand-mère, que je venais de rencontrer, m’avait aidé à préparer mon sac pour le grand soir. Elle m’avait confié un drap pour que je puisse m’en faire une tente et me mettre à l’abri en cas de pluie, et sans doute avait-elle caché des pâtisseries qu’avait faites Gemma dans une boîte au fond. J’étais paré, mes jumelles autour du cou, mon sac débordant de trucs inutiles sur le dos et une casquette hideuse de touriste sur la tête, que j’avais achetée dans un magasin de souvenirs sur le chemin, parce que j’avais oublié mon chapeau d’aventurier en Australie. Ce n’était pas non plus comme si j’allais à un défilé de mode, et puis on est un ringard ou on ne l’est pas, entre les deux, ça n’existe pas.

Une fois sur place, j’avais érigé mon abri de fortune à l’aide d’un grand bois que j’avais déniché sur la plage. Je n’avais pas trop réfléchi à l’emplacement, me contentant d’un endroit assez dégagé pour que je puisse distinguer les ombres des tortues au loin. Je n’avais pas eu le temps de m’y préparer mieux que ça en seulement deux jours. Surtout que je ne connaissais aucun des scientifiques qui habitaient sur l’île, du moins c’était ce que je croyais. Bien installé, j’avais commencé à observer les alentours à travers mes jumelles, sans repérer quoi que ce soit qui aurait pu attirer mon attention. Il fallait que j’attende encore un peu, que le soleil ait suffisamment baissé à l’horizon. J’aurais aimé que ma tortue soit avec moi pour assister à ce spectacle, cela l’aurait amusée. Je me demandais d’ailleurs comment Cappie s’en occupait. A y penser, je craignais le pire, j’aurais dû l’emmener avec moi. Il était capable d’avoir oublié de la nourrir. Bref, il fallait que j’arrête de m’inquiéter pour rien, et que je prie pour que mon ami soit devenu responsable en… trois jours. Je l’appellerais demain à l’aube. « Devine qui c'est, petit génie... » Je sursautai comme un idiot quand je sentis les mains se posaient sur mes yeux avant de me rendre compte que cette voix-là ne pouvait pas me vouloir de mal. De un, parce que même si j’avais des bras comme des baguettes, j’étais plus fort qu’une fille. Ou que certaines filles. De deux, je reconnaissais cette voix et elle appartenait à une biologiste fan de tortues que j’avais croisée lors d’un meeting à Perth. Et les amoureux des tortues ne sont jamais des gens dangereux. Je n’eus pas le temps de bafouiller une réponse qu’elle me piquait déjà ma casquette de tenancier de station-service. Elle s’assit à côté de moi et je lui souris simplement, elle allait pouvoir m’aider à trouver le point d’observation idéal, en tout cas je l’espérais. « Si tu es là pour les bébés tortues, tu es très mal placé mon cher... » Qu’est-ce que je disais ? « C’est ce qu’il me semblait aussi, mais j’avais la meilleure vision d’ensemble. Alors, madame la professionnelle, où doit-on déplacer le campement ? » Je rassemblai mes affaires pour les remettre dans mon sac, qu’elles soient plus faciles à transporter d’un lieu à l’autre. La regardant, je grimaçai l’espace de quelques secondes, de manière tout à fait ironique. « Sauf votre respect, chef, le style rappeur touriste ne vous va pas du tout. » Je lui fis un salut militaire pour rigoler. Il fallait bien lui montrer que j’étais dorénavant sous ses ordres. Refermant mon sac de nouveau plein, je quittai ma tente digne d’un scout. « Si tu restes là-dessous, je t’enroule dans le drap et te traine ailleurs. »

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Je me demandais pendant quelque instants si je ne rêvais pas de cette scène, ou pire encore que si je n'étais pas en pleine hallucination. Je voulais tellement retrouver des personnes qui m'étaient familières, des personnes auxquelles je tenais, ne connaissais quasiment personne. Je me voyais très mal déballer tout ce que j'avais sur le cœur à un total étranger, quoi que avec quelques verres j'aurais sans doute pu. Mais là j'avais tellement besoin de voir une personne que j'appréciais un minimum, avec qui je ne serais pas obligée de déblatérer des banalités à propos du temps radieux, de la chaleur étouffante de l'île ou encore du futur hôtel en construction, qui revenait sans cesse dans mes conversations. Je me pensais donc capable de m'imaginer cette scène et ce jusqu'à ce que je touche son visage, me prouvant que je n'étais pas si folle que je le soupçonnais. Je le sentis sursauté et j'eus envie de rire aussitôt, je me retins cependant. Moi, une blonde fragile terrorisant un jeune homme, certes un peu geek sur les bords, reste tout de même improbable. C'était sans doute parce qu'il n'avait pas de suite deviné que c'était moi, je ne pouvais le lui reprocher, il ne pouvait pas savoir que je me trouvais sur Efaté. Moi-même si quelqu'un, peu importe qui, aurait posé ses mains sur mon visage en me demandant de deviner qui était cette personne, j'aurais sans doute crié. Etant plutôt extrême, voire paranoïaque j'aurais dégainé mon spray au poivre, aspergé la dite personne et aurait détallé comme un lapin en criant au secours. Heureusement que Georgie ne sembla pas réagir comme ça, je n'avais pas du toute la tête d'une agresseuse.

Je ne le lui laissais point le temps de parler, pauvre de lui. Il se contenta de me sourire, de manière timide mais franche, adorable. Il n'en avait pas conscience, mais ce sourire, accompagné de sa gueule d'ange - je pouvais bien l'avouer - aurait fait craquer plus d'une fille, s'il avait bien voulu se donner la peine de regarder autre chose que sa tortue. J'étais très mal placée pour lui parler de ça, je ne pourrais cependant pas m'empêcher de lui en toucher mot durant la soirée. Je ne comptais pas lâcher ce petit génie dans la nature, peu importe les projets qu'il avait pour la soirée, il la passerait avec moi à traquer les magnifiques bébés, prêts à éclore, de tortues marines. J'allais réquisitionner ce jeune homme, de gré ou de force. Oui, de force, je suis plus forte que j'en ai l'air. J'imaginais déjà la scène ; moi, traînant le corps de Georgie le long de la plage pour atteindre un point d'observation stratégique. Fort heureusement à sa question je devinais que nous allions partir à la recherche du meilleur endroit possible. Je lui souris alors, effectivement cet endroit avait la meilleure vision d'ensemble mais je désirais aller au plus près de l’évènement. Madame la professionnelle ? Ce titre m'allait plutôt bien, je corrigeais cependant. « Tu me trouves déjà assez vieille pour être une madame ? » dis-je d'un ton faussement vexée. J'étais aujourd'hui bien loin d'épouser quelqu'un et de d'ainsi devenir madame la professionnelle. Georgie devait avoir dix ans de moins que moi, c'est pourquoi je me permettais de jouer la dessus. Je repris alors « Mademoiselle la professionnelle fait tout de suite plus classe ! Mmm.. je pense qu'on devrait aller vers l'est, en lisière de forêt... enfin c'est ce qu'on m'a conseillé... » Je n'étais pas certaine de la véracité de ses théories, et je m'étais dit que j'installerais un campement là ou je le désirerais, un peu au feeling. Je le vis alors rassembler ses affaires, puis s'arrêter sur moi, et me jugea. Était-il en train de se dire que mon nouveau look à la Lara Croft allait faire fureur ou bien que la casquette que je portais ajoutait du ridicule à ma tenue ? Sauf votre respect, chef, le style rappeur touriste ne vous va pas du tout. Puis je le vis faire un signe militaire. Je ris, mis ma casquette de côté pour affirmer le style rappeur, puis repris la parole, entre entre deux éclats de rire « Tu ne trouves pas ça sexy Georgie ? Je lance une nouvelle tendance !» Puis je l'enlevais rapidement pour étudier cette monstruosité. Elle méritait d'être balancée à la mer, et que tous les modèles de cette gamme soient retirés du marché. Il sortit alors de la tente, bien décidé à s'en aller et suivre le cap que j'allais lui donner. « Si tu restes là-dessous, je t’enroule dans le drap et te traine ailleurs. » Je ris, puis sortit de sa "tente". Je le vis alors afficher un air très sérieux ce qui me fit éclater de rire. Je lui reposais alors sa précieuse monstruosité sur la tête, il ne devait pas attraper une insolation. « Tu te crois vraiment capable de me traîner ailleurs ? Je me demande ou tu pourrais bien n’emmener.. » C'est vrai. Je ne doutais pas de ses forces mais je le pensais incapable de me porter, donc de m'enrouler dans un drap et de me traîner je ne sais ou. J'allais m'emparer de mon sac, quelques mètres plus loin, tandis qu'il repliait sa tente.« En avant toute moussaillon ! »